“Nous souhaitons étudier les effets des perturbateurs endocriniens sur la santé des personnes, mais aussi déterminer leurs conséquences à long terme voire leurs effets transgénérationnels, explique le Pr Virginie Migeot, chef du service santé publique du CHU de Poitiers. Nous savons déjà qu’ils sont probablement à l’origine de maladies chroniques telles que le diabète, l’obésité ainsi que certains cancers et qu’il est donc essentiel d’être protégé de ces perturbateurs endocriniens dans les 1 000 premiers jours de sa vie, à partir de la conception. Or, ils sont partout : dans les pesticides, les cosmétiques, les couches, les produits d’hygiène et d’entretien, les peintures, les meubles, l’eau, les plastiques, les aliments transformés… En tant que médecins de santé publique et chercheurs, c’est notre rôle de protéger la population et en particulier les femmes enceintes, c’est pourquoi nous menons cette étude de grande ampleur.”
L’équipe du Pr Migeot travaille sur deux axes : comment bien estimer l’exposition humaine aux perturbateurs endocriniens et comment la limiter. Elle souhaite donc agir en même temps que ses recherches avancent. “En plus d’établir des recommandations de prévention, nous espérons trouver des facteurs prédictifs et agir sur les thérapies, précise le Pr Migeot. C’est notamment le cas pour les patients atteints de cancer hormono-dépendants. Les perturbateurs endocriniens peuvent entrer en conflit avec certains traitements ou être à l’origine de leur genèse.”
“Pour mener à bien ce projet, il nous faut améliorer les connaissances et techniques dont nous disposons actuellement, indique le Pr Migeot. Dans cette optique, j’ai réuni une équipe de onze personnes autour de moi. Sa caractéristique est la pluridisciplinarité et même l’interdisciplinarité, ce qui n’est pas le cas des autres équipes françaises qui travaillent sur ce sujet.”
Zoom sur le Pr Migeot et son équipe
- Le Pr Virginie Migeot est cheffe du service santé publique du CHU de Poitiers et responsable de l’enseignement santé publique à la faculté de médecine et de pharmacie de Poitiers. Elle a consacré sa carrière à la santé publique. Après avoir effectué son internat à Toulouse, elle réalise un master 2 “Epidémiologie et intervention en santé publique” à Bordeaux. Virginie Migeot intègre ensuite le CHU de Poitiers en 2001. Elle devient professeure des universités en 2014. Le Pr Migeot porte actuellement deux projets de recherche et d’innovation : la création d’une maison de la santé publique et l’acquisition d’un spectromètre de masse pour un projet de recherche portant sur les perturbateurs endocriniens.
- Le Dr Marion Albouy-Llaty est maître de conférences en épidémiologie et prévention et médecin de santé publique au CHU de Poitiers. Le Dr Albouy-Llaty a suivi un double cursus universitaire. Elle a obtenu un master 2 en promotion de la santé et un doctorat en épidémiologie sur le thème de la santé environnementale périnatale, encadré par le Pr Migeot. Son sujet de recherche concernait l’exposition hydrique des femmes enceintes aux perturbateurs endocriniens. Suite à ce doctorat, qui a dressé un constat épidémiologique de la situation sanitaire des femmes enceintes face aux perturbateurs endocriniens, elle a développé le projet Preved (Pregnancy Prevention Endocrine Disruptor – voir encadré ci-dessous) pour passer à l’action et mettre en place le principe de précaution.
- Pascal Carato et Manon Dumas, chimiste et doctorante en chimie, situés à la faculté de Poitiers : ils synthétisent les perturbateurs endocriniens. Ils sont capables de fabriquer des étalons des différents types de perturbateurs endocriniens étudiés : le bisphénol A (BPA) et ses dérivés d’une part, les parabènes et ses dérivés d’autre part. Ce sont des perturbateurs endocriniens que l’on retrouve dans les produits de grande consommation et donc dans la vie quotidienne. Si l’équipe du Pr Migeot a décidé d’inclure les dérivés et les métabolites du bisphénol A et des parabènes, c’est parce que ces molécules se modifient dans l’environnement et dans l’organisme. Ainsi les dérivés chlorés du BPA sont 30 à 100 fois plus puissants que le BPA lui-même. De même, dans notre organisme, le foie va éliminer une partie du BPA mais, se faisant, il le transforme en un métabolite du BPA.
- Nicolas Venisse, Bertrand Brunet et Antoine Dupuis, pharmaciens cliniques ou de toxicocinétique, réalisent le développement et la validation analytique dans le laboratoire de toxicologie situé dans le bâtiment Urgences et biologie médicale du CHU de Poitiers. Ils recherchent les molécules (perturbateurs endocriniens, dérivés et métabolites) dans les tissus et les liquides biologiques (matrices). Ce sont des chimistes qui ont une double compétence : chimie et toxico-cinétique. Ils ont donc l’habitude de travailler sur des médicaments. Ils vont devoir découvrir comment les perturbateurs endocriniens sont transformés par notre corps et répondre à cette question : sur 100 %, combien de perturbateurs endocriniens restent dans notre corps ? Pour cela, ils vont étudier de l’urine, des tissus adipeux, du sang, du lait maternel ou d’autres tissus biologiques provenant de femmes enceintes et de cohortes de patients dont certains sont diabétiques, atteints de cancer du sein ou de lésions du sein non-cancéreuses.
Ce sont ces pharmaciens cliniques ou de toxicocinétique qui utiliseront le spectromètre de masse de troisième génération que financera le fonds Aliénor. “Il permettra de détecter les produits à l’état de traces, et de manière plus sensible que la machine de deuxième génération que nous utilisons actuellement, indique le Pr Migeot. Pour ne pas piper les résultats, nous avons investi dans des flacons ou contenants en verre et non en plastique, car cette matière contient des perturbateurs endocriniens, et nous utilisons un four qui calcine ces flacons en verre après utilisation pour ne pas contaminer les échantillons. Cela demande beaucoup de préparation et de technicité.”
- Laurence Barrier et Sabrina Ingrand, pharmaciens biochimistes et toxicologues, pour l’instant basées à la faculté de Poitiers. Elles vont développer des projets de recherche sur les mécanismes cellulaires des perturbateurs endocriniens. Dans le cadre des recherches du Pr Migeot, elles ont pour mission de déterminer quels sont les effets des perturbateurs endocriniens et de leurs dérivés, seuls ou en mélange sur les membranes des cellules.
- Sarah Ayraud-Thévenot, pharmacien hygiéniste du CHU de Poitiers : elle recherche la présence de BPA dans les dispositifs médicaux et en particulier dans le circuit d’hémodialyse. Le BPA se cache en effet dans de nombreux dispositifs médicaux comme les dialyseurs mais aussi l’eau utilisée pour la dialyse et d’autres matériels indispensables au processus de dialyse.
- Sylvie Rabouan, en plus d’être pharmacien, est professeure de chimie analytique et spécialiste de la santé environnementale. Une perle rare, car l’interaction entre ces disciplines permet d’appréhender des phénomènes que chacune des disciplines seules ne peut pas expliquer. “Chaque spécialité scientifique a ses limites, analyse le Pr Migeot. Les connaissances et la vue d’ensemble du Pr Rabouan sont essentielles pour étudier l’environnement, un domaine qui doit impérativement être examiné en interdisciplinarité. De plus, elle sait trouver les mots pour sensibiliser les élus, ça a du poids quand un chimiste dit qu’il faut faire de la santé publique.”
- Lynda Sifer-Rivière, une sociologue. Elle travaille au CERMES3, à l’université de Paris Descartes (laboratoire multidisciplinaire consacré à l’analyse sociale des transformations contemporaines des mondes des sciences, de la médecine et de la santé ainsi que leurs rapports à la société). Elle nous aide à expliciter le nouveau modèle que nous développons et à le transférer à la société, mais aussi à l’hôpital. Elle apporte des réponses à la question : pourquoi l’hôpital devrait s’intéresser à la santé environnementale et à la santé publique en général ? “L’hôpital parait éloigné de la santé publique alors qu’il devrait s’en occuper, car un bon environnement à des effets positifs sur le patient et les professionnels de santé, affirme le Pr Migeot. Nos recherches ne sont pas seulement interdisplinaires, elles sont aussi interacteurs : décideurs, patients, chercheurs… Il faut du temps de rencontre pour parler le même langage, le même point de vue et Lynda Sifer-Rivière nous y aide.”
“L’objectif est de regrouper tous les collaborateurs au même endroit et de développer un projet global de santé environnementale (le développement durable allié à la santé publique) qui inclut la recherche sur les perturbateurs endocriniens, le projet de maison de la santé publique, l’étude Preved (Pregnancy Prevention Endocrine Disruptor), les ateliers pratiques que nous avons créés (voir encadré ci-dessous) et toutes les actions de santé publique que nous mettons en place sur ce thème.” Pour cela, le Pr Migeot et son équipe travaillent avec de nombreux partenaires, tels que la Mutualité française et des associations d’éducation pour la santé et à l’environnement, comme le Groupe régional d’animation et d’initiation à la nature et à l’environnement (le Graine) et l’Instance régionale d’éducation et de promotion de la santé (l’Ireps).
Des ateliers concrets pour apprendre à éviter les perturbateurs endocriniens Avec l’aide du centre d’investigation clinique du CHU de Poitiers, le Dr Marion Albouy-Llaty coordonne l’étude Preved (Pregnancy Prevention Endocrine Disruptor), qui s’intéresse aux risques liés aux perturbateurs endocriniens pendant la grossesse. Dans ce cadre, son équipe a développé des ateliers axés sur la cuisine, les soins corporels et la qualité de l’air. Ce sont des ateliers concrets et simples, mettant en avant les bons gestes et des conseils de prévention (utiliser le moins de produits transformés possible, privilégier les produits simple comme le vinaigre blanc pour le ménage et des produits certifiés bio pour l’hygiène corporelle, aérer régulièrement son logement…). Ils se déroulent dans un logement pédagogique situé dans le quartier des Couronneries, à Poitiers. C’est un avant-goût de la future maison de la santé publique, autre projet porté par le Pr Migeot. “Nous avons émis des hypothèses de travail et nous essayons de déterminer quel est le meilleur moyen pour que les femmes enceintes et leurs proches retiennent les bons conseils, indique le Dr Albouy-Llaty. Nous devons aussi prendre en compte l’enjeu du coût des produits sains et le poids des lobbys qui est important.” Ces recherches, qui se termineront en 2018, sont suivies de près par l’Agence régionale de santé qui ambitionne de diffuser les recommandations de l’étude à l’échelle nationale. |